Comment "Le Problème à Trois Corps" fait-il son jeu vidéo ?

 

 J'ai découvert, il y a une paire de mois, « Le Problème à Trois Corps » de l’auteur Liu Cixin. Je dois avouer que bien que j’ai beaucoup apprécié la lecture de ce livre, je suis très partagé par un point très discutable, qui constitue une « clef de voute » narrative de cette histoire aux saveurs très « Hard SF ».

 

 

 Je pourrais citer la quatrième de couv’ qui a le mérité d’être l’une des mieux ratées de l’histoire de la quatrième de couv’, puisque racontant en trois lignes toute l’intrigue du roman, mais on évitera. On va simplement dire que cet ouvrage parle d’une future invasion extra-terrestre larvée, qui mettra 400 ans à s’accomplir, mais surtout, qui n’aurait jamais pu avoir lieue sans l’aide d’éminents savants, écœurés par l’espèce humaines.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           

 

 Certes, l’articulation politique et les ressources historiques qui illustrent les parcours des protagonistes sont très puissantes, et fonctionnent plutôt bien, tout comme la plupart des références d’astrophysiques qui habillent le récit, et lui donnent une certaine crédibilité. De même, la description du monde extraterrestre orbitant autour de trois soleils est saisissante, tout comme le fonctionnement biologique des Trisolariens (les extraterrestres, donc), hérité des tardigrades. On sent que l’auteur se mouille la chemise dans bien des secteurs divers et variés pour appuyer son récit, jusqu’au moment où il aborde une partie non négligeable du récit dans le monde du jeu vidéo... Et là, ça flanche.

 

Non pas qu’il faille s’interdire des audaces dans un futur plus ou moins incertains, mais les éléments vidéo-ludiques exposés sont, pour le coup, à des années lumières de ce que peux réaliser même le plus gros des studios de développement, le tout, avec un financement qui pourrait faire passer ce vaporware, teinté d’arnaque, qu’est Star Citizen, pour les économies de votre nièce âgée de cinq ans et demi (à cet âge, c’est important, le demi).

 

 

 Alors, oui, on peut s’autoriser à se dire qu’il serait possible, dans un futur proche, à voir non seulement des Casques VR ultra performants (Réalité Virtuelle, pour celles et ceux qui ne connaissent pas), mais aussi  des combinaisons VR, elles aussi, restituant températures et pression des mondes imaginaires arpentés dans le jeu vidéo. Finalement, tout cela n’est qu’informations, mais ces dernières sont « basique » voire « binaires ». C’est à dire que l’on est dans des certitudes. Ce monde là est bleu, rouge, vert... peu importe. Son air est froid ou brulant, peu importe aussi : à chaque fois ce sont des informations basées sur le Vrai / Faux... le « zéro » ou le « un ». Bref, l’information sensorielle du jeu est basée sur une approche de logique simple.

 

 

 Là où le problème du roman commence, c’est d’avoir créer un jeu vidéo qui a la capacité de réagir en temps réel aux sollicitations intellectuelles du joueur.  Pourtant, tout le monde fait ça tous les jours : ça s’appelle avoir une conversation. Seulement, les conversations sont imprévisibles. Elles sont le fruit de notre éducation et de notre vécu (de l’importance du choix des mots). A vrai dire, si on doit analyser la logique des dialogues, surtout dans un contexte exotique, on s’apperçoit que la nature des termes utilisés pour les nourrir est très chaotique, dans le sens, imprévisible, ne serait-ce qu’à travers la nature des choix des mots utilisés... il y aura toujours une différence entre utiliser le mot « rouge » et le mot « écarlate ».    

 

 

 Qu’avons-nous, en matière de jeu vidéo, dans « le problème à trois corps » ? Manifestement, nous avons affaire à un jeu énigme / aventure, en open space, chapitré sur des scrypts faisant enchainer les chapitres du jeu, très narratifs, les uns derrière les autres, chaque chapitre constituant une époque, ou une phase temporelle, cueillie à un moment critique de son Histoire. Que du classique, et surtout, que du « réalisable » même si les moyens de développement seraient considérables. Là où ça devient extraordinaire, c’est que ce jeu fait rencontrer des PNJ (personnages non joueurs » réagissant au tac-au-tac dans les dialogues, ces mêmes dialogues ayant une influence direct sur les scripts et les évènements du scénario du jeu, ce qui exclue, en l’état actuel des technologies ludiques, l’intervention d’un opérateur pouvant répondre à des problèmes scientifiques de très haut niveau. Non seulement il faudrait garantir un « panier » d’animateurs très qualifiés pour garantir la vie d’un tel jeu en réseau (ou « on line ») , mais en plus, il faudrait réaliser un outil d’une très grande puissance et d’une très grande souplesse pour que le monde soit dynamique par rapport aux décisions prises par le joueur en temps réel : l’empowerment rêvé par Warren Spector commencerait enfin vraiment à exister ! De plus, lorsque l’on sait que plusieurs personnages non joueurs interviennent, il faudrait plus d’un animateur par joueur, ce qui serait extrêmement difficile à mettre en place pour un  jeu online.

 

 

 La solution se repose donc sur des éléments procéduraux et sur de la gestion de programmation qui doit non seulement gérer un monde totalement ouvert, accompagné de la gestion des infirmations cognitives transmises au joueur via son interface VR, mais en plus, il faudrait qu’une telle machine puisse gérer le chaos généré par l’usage même de la langue (et dans le cas du Problème à trois Corps, il y a plusieurs langues, puisque le jeu touche des savant disséminés à travers le monde).

 

 

 Or, aucune machine humaine pouvant gérer aussi bien une réalité alternative n’existe à l’heure actuelle... D’ailleurs, l’ordinateur pouvant faire tourner un tel jeu existe dans le livre, et il n’est pas humain... Mieux que ça, il est juste une projection de ce que pourraient être des ordinateurs quantiques si l’Homme avait un tel pouvoir de contrôler la matière et l’information à une échelle subatomique. Pour le coup, la description de cet ordinateur indigène est assez saisissante dans le roman.

 

 

 J’en arrive donc à la conclusion de ce « point critique » lié à cette œuvre littéraire, Prix Hugo 2015. Dans la mesure où un tel jeu vidéo, décrit en profondeur dans ce roman, puisse exister, et qu’il s’adresse à des savants, il est très étonnant que personne ne se pose la question de la puissance de calcul phénoménale qui serait nécessaire pour le faire tourner. Si un tel jeu existe, et qu’il est mêlé à une affaire criminelle, la première chose à faire serait de se tourner vers le monde des créateurs de jeu vidéo (si on n’est pas au fait des technologies ludiques existantes) pour essayer de comprendre pourquoi un tel média est lié à ladite affaire criminelle. Et là la réponse serait immédiate : ce jeu n’a pas été développé par un humain.


  L’équipe de savants suivie dans le roman aurait gagné de précieux mois.  

 

« Le Problème à Trois Corps », roman de Science Fiction de Liu Cixin, prix Hugo 2015, éditions Actes Sud